Si la déconnexion est un droit, elle est aussi un devoir et suppose la mise en œuvre de quelques règles simples d’organisation. Explication en 3 points.
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Déconnecter, de quoi parle-t-on ?
La « connexion » au travail n’est pas nouvelle. Indépendamment des solutions technologiques, la place du travail dans la vie en fait un marqueur fort d’identité sociale. Qu’il s’agisse d’un simple moyen de subsistance, d’un lieu d’appartenance ou d’un moyen de réalisation de soi, le travail occupe une partie significative de notre temps d’éveil conscient.
Dans tous les cas, il est difficile d’imaginer que passé l’horaire officiel du temps de travail, le cerveau se déconnecte totalement, dans une forme d’amnésie temporaire activable par un interrupteur virtuel. Seule sa mobilisation sur d’autres activités, extraprofessionnelles, nécessitant tout ou partie de ses ressources cognitives peut permettre une déconnexion effective mais pour autant exposée à des reconnexions aléatoires. Comme si le cerveau était branché au travail sur courant alternatif. Un instant vous êtes concentré sur le découpage des légumes qui feront votre ratatouille du midi, l’instant d’après et vos gestes deviennent mécaniques, faisant ressurgir à votre mémoire par effet de vagabondage de l’esprit votre dernière discussion (plus ou moins satisfaisante) avec votre manager ou le dossier que vous avez laissé en cours la veille au soir.
Bref, la déconnexion est affaire non seulement de détournement de l’attention au travail, mais plus encore de sollicitation de cette même attention à autre chose. Déconnecter dépend donc à la fois de l’intensité de la charge mentale que l’on laisse derrière soi à la fin de sa journée et, par effet de vases communicants, de l’intensité proportionnelle de mobilisation de ses énergies à se consacrer à autre chose.
Mais le sujet ne s’arrête pas là. Bien qu’il y ait toujours eu moyen d’emporter du travail chez soi et que sa traduction matérielle ait progressivement évolué (dossier papier, disquette, ordinateur portable, clef USB, cloud…), il fallait une action volontaire et proactive. L’ère technologique actuelle, couplée à la dématérialisation grandissante du travail dans une société de plus en plus tertiaire, ouvre des perspectives infinies d’abolition des contraintes physiques. Pour peu que l’entreprise ait fait évoluer sa solution de messagerie, tout salarié peut consulter ses mails sur son smartphone H24. Par extension, l’accès aux serveurs de données, aux applicatifs en tout genre est désormais possible, y compris sous l’angle de la sécurité.
Il faut donc prendre en considération l’environnement technologique qui, selon les points de vue, autorise/incite/ encourage/valorise la (re)connexion permanente au travail. Evidemment les métiers non-télétravaillables sont relativement à l’abri de ce maintien de connexion au travail. Exception faite des flux informationnels auxquels on peut rester connecté et qui, paradoxalement, alors que l’individu est en incapacité d’agir, peuvent le placer dans une forme de frustration voire de détresse à subir une action du travail qui se poursuit sans eux. Avec le risque de faire émerger un sentiment diffus de culpabilité à ne pas être là.
L’enjeu de (dé)connexion est donc d’autant plus prégnant pour les activités télétravaillables. Car il y a double tentation puisque l’outil de travail est à portée de main : celle de rester branché par effet FOMO (Fear Of Missing Out), et celle d’agir hors cadre habituel de temps de travail (soir, week-end, vacances) pour satisfaire au besoin de voir cesser ces mêmes frustration et culpabilité. Le bénéfice attendu étant de liquider la charge mentale aliénée à ce qui resterait à faire, autant qu’une satisfaction à se montrer présent, et pourquoi pas indispensable, bref, à nourrir son narcissisme d’utilité sociale.
Déconnecter pour quoi faire ?
Si les multiples avancées technologiques, alignés sur un monde plus ouvert et la nécessité d’une réactivité à la mesure de l’accélération du temps, rendent possible une connexion au travail « on demand », elles rendent aussi possible une forme d’’injonction diffuse de disponibilité.
L’évolution des organisations du travail, plus matricielles, générant de plus en plus d’interdépendances dans la production de plus en plus de salariés, induit une disponibilité accrue. Le temps de connexion s’accroit et se diffuse progressivement sous la pression de l’immédiateté des échanges et l’impérieuse réactivité comme nouvelle référence de la performance et de l’engagement. Avec pour conséquence de remplir une partie des conditions d’apparition du stress, des risques psychosociaux et du burn-out.
La connexion au travail permanente et/ou sur courant alternatif subi porte en effet en elle les caractéristiques d’un empêchement à se ressourcer. Il est ici extrêmement facile de faire des analogies avec une nappe phréatique, un champ ou un téléphone portable : si vous ne leur accordez pas des temps récurrents de repos, c’est-à-dire de détournement complet de leur raison d’être, vous courrez à l’appauvrissement structurel de leurs ressources intrinsèques. La déconnexion est donc un ressourcement, une nécessité à l’écologie de l’humain.
Plus encore, déconnecter, qui dans l’expression répandue relève d’un droit, devient une nécessité et, par extension un devoir, pour soi et pour les autres. Un devoir assorti de responsabilités individuelles et collectives à créer et assurer les conditions de sa faisabilité, y compris dans son acceptation sociale.
Déconnecter comment faire ?
Pour partie sous la contrainte de la nouvelle obligation d’accord ou de plan d’action sur le droit à la déconnexion, pour partie sous l’impulsion d’une politique de responsabilité sociale et de qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), les entreprises se voient confrontées à la nécessité de mettre en œuvre des solutions concrètes et réalistes. L’enjeu semble en grande partie tourner autour du respect des repos obligatoires, dans la lignée des controverses sur le temps de travail des forfaits jours. Il y a donc bien initialement une responsabilité organisationnelle et collective à délimiter connexion et déconnexion au travail.
La simplicité pousse à résumer le sujet à deux options :
- A problème technologique, solution technologique : en coupant l’accès matériel aux sources de travail et donc essentiellement aux moyens d’accès et d’échange d’informations. Mais restreindre l’accès aux serveurs les soirs et week-end, n’empêche pas le travail offline
- L’appel à la responsabilité individuelle par un mélange d’incitations / incantations de types journées sans mail, rappel des durées de repos quotidien et hebdomadaires, invitation à insérer dans ses mails une mention de type « ce message n’appelle pas de réponse immédiate », …
Deux approches qui, si elles ne sont pas inutiles, peuvent comporter des effets de bord qui ne font qu’ajouter au problème. Car la déconnexion, forcée ou incitée, aux seuls outils n’est pas la déconnexion du travail.
La responsabilité collective et organisationnelle passerait donc justement par une réponse … organisationnelle ! C’est-à-dire :
- de revenir à des fondamentaux de communication et d’information proportionnés
- de concevoir et de mettre en œuvre les conditions de polyvalence et de polycompétences permettant au sein du collectif de travail de faire face aux absences (et donc à l’exercice du droit effectif à la déconnexion de chacun), incluant la gestion de la charge de travail
- de définir et d’accompagner les pratiques de délégation et de subsidiarité jusqu’à la prise de décision
- de déconstruire systématiquement les représentations de désirabilité sociale d’une sur-connexion : valorisation d’une disponibilité étendue, paraître (à défaut d’être) indispensable par l’entretien d’une dépendance opérationnelle, projection de responsabilités supérieures à la réalité, crainte d’une charge de travail accumulée pendant l’absence et difficilement absorbable au retour, …
- de valoriser les comportements de déconnexion effective et, a contrario, de considérer les situations de non déconnexion comme anormales … et de les traiter !
L’instauration de ce cadre collectif est un préalable auquel ne peut se substituer la seule bonne volonté des individus. Pour autant, il appartient à chacun d’en décliner ses principes à son échelle, à travers quelques actions élémentaires :
- anticiper ses temps de déconnexion (particulièrement les vacances) en planifiant son activité ; on peut par exemple utiliser la matrice Important / Urgent d’Eisenhower
- donner de la visibilité à ses « clients » (externes comme internes) lorsqu’ils sont en attente de quelque chose de votre part : on peut par exemple leur reconfirmer que leur demande et prise en compte et leur communiquer une échéance prévisionnelle de réponse
- communiquer à son manager / ses collègues / son équipe un point de situation de son activité pour leur donner la latitude décisionnelle suffisante à agir en votre absence pour les situations critiques
- identifier les situations et évènements « catastrophe » susceptibles de survenir en votre absence et définir les actions à mener en mode « plan de continuité d’activité »
- se conditionner à basculer du mode FOMO (Fear Of Missing Out) au mode ROMO (Relief Of Missing Out), c’est-à-dire se couper temporairement de ses sources d’information habituelles pour soulager sa charge mentale.
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