Clarifier la notion de travail bien fait est désormais incontournable pour que la Qualité de Vie AU Travail devienne la Qualité de Vie DU Travail.
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Entre nouvelles aspirations de sens au travail, questionnement sur le (dés)engagement et possibles malentendus sur ce qu’est la relation de salariat, la QVCT devient un pilier incontournable de toute politique RH dans chacune de ses dimensions : Attirer, Mobiliser, Fidéliser les ressources humaines nécessaire à l’accomplissement du projet de l’entreprise.
Travail bien fait, bon travail et travail de qualité, une question de point de vue ?
A la question « qu’est-ce qu’un travail bien », il est possible de répondre de multiples façons, et selon une double dimension : celle du profil de celui qui répond, celle du cadre de référence dans lequel il se place.
Selon que l’on est celui qui travaille (ici le salarié), son manager (comme détenteur du pouvoir d’organiser et donc de prescrire le travail), son ou ses clients (bénéficiaires du résultat du travail) ou ses pairs (comme ceux qui connaissent le travail de l’intérieur), la nature de l’appréciation d’un travail bien fait ou de qualité ne sera pas la même.
Celle-ci dépendra, et c’est la seconde dimension, du ou des référentiels associé(s) aux attentes spécifiques :
- conformité d’exécution d’une procédure ou d’un mode opératoire
- conformité aux caractéristiques du produit ou du service de référence
- conformité de consommation de ressources : matières premières, outils et machines, énergie, quantité de travail, …
- conformité de temps et de délai, au regard à la fois du plan de charge et de l’échéance
- conformité aux attentes en matière de satisfaction client
- conformité aux pratiques métiers reconnues comme relevant d’une forme d’état de l’art
Toutes ces attentes, qui par ailleurs peuvent se cumuler, renvoient à la notion de jugement, celui-ci pouvant porter aussi bien sur l’efficacité, l’efficience, ou encore l’élégance du travail fournit.
Prenons l’exemple d’un point de suture : la notion de travail bien fait peut à la fois recouvrir le temps qu’il a fallut pour le faire, éventuellement le nombre de fois à s’y reprendre, la quantité de fil utilisé, la robustesse de la suture à la fois dans sa capacité à résister aux chocs, celle à prévenir les risques d’infection et celle à assurer une cicatrisation rapide, le vécu émotionnel du patient pendant l’acte sur une double échelle douleur / confiance et enfin l’élégance de la suture en ce qu’elle laissera une cicatrice plus ou moins esthétique.
Et on pourrait ajouter une troisième dimension, celle du contexte. Car faire une suture d’urgence en bord de route après une chute de vélo sur gravier avec un kit de secours, en plein vent et avec la luminosité d’un ciel gris pluvieux de fin de journée n’a rien à voir avec une chambre de clinique climatisée, éclairée artificiellement avec à porter de main les instruments adaptés. Sans compter le facteur de gravité de la plaie, sa localisation, le type de trauma, l’environnement de la plaie et son niveau d’hydratation, la présence de corps étrangers, … autant de paramètres qui viennent influencer le champ de contraintes de réalisation de l’activité ou de la tâche, la juste exécution du geste professionnel et, par extension, le niveau d’attente et la projection qui seront faits de l’évaluation d’un travail de qualité, tant par celui qui le réalise que par celui qui en bénéficie.
Sujet, référentiel et contexte sont donc les trois dimensions qui vont caractériser pour une situation donnée la notion de travail bien fait. Autant dire que celui-ci renvoie à une subjectivité mobile et relativement adaptative.
Mais que se passe-t-il quand, pour un même travail dans un contexte donné l’ensemble des parties prenantes n’ont pas la même appréciation du niveau de qualité de sa réalisation ?
Le sentiment d’un travail mal fait et ses conséquences
Parce qu’il y a nécessairement un écart entre le travail tel qu’il est envisagé (le travail prescrit) et le travail tel qu’il est réalisé (le travail réel), nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre à la situation d’avoir l’impression de ne pas faire un travail de qualité. Faute de temps, faute de moyens, faute d’outils, faute de bras, faute de clarification de son donneur d’ordre (son chef, son client, son collègue, …), les raisons sont multiples et peuvent se cumuler.
D’autant que nous l’avons vu, la notion de travail bien fait est à la fois subjective et contextuelle, à la croisée d’une multiplicité d’attentes de conformité et d’une multiplicité de points de vue. La principale difficulté repose sur l’asymétrie d’information. C’est-à-dire la connaissance relative de chaque acteur des attentes des autres acteurs, autant dans leur hiérarchisation que dans leur intensité, au point de risquer le conflit de ces attentes, potentiellement irréconciliables.
Dés lors, celui qui travaille peut se retrouver confronté à deux situations qui posent problème :
1 – Soit il considère qu’il n’a pas réalisé un travail de qualité, au regard de ses propres attentes et exigences (qui renvoient notamment à là où il situe la valeur de son travail), alors que dans le même temps les autres parties prenantes (son manager, ses clients, ses pairs) lui reconnaissent un travail bien fait, tout autant au regard de leurs propres exigences.
2 – Soit, situation inverse, celui qui travaille considère avoir réalisé un travail de qualité, alors que lui est renvoyée la perception et le jugement d’un travail mal fait.
Deux situations qui ont en commun de constituer une dissonance cognitive, c’est-à-dire la confrontation d’informations contradictoires et incompatibles, génératrice d’un état de tension psychique. Ici, l’information renvoyée par les tiers, qu’il s’agisse d’un travail bien ou mal fait, vient en négation du ressenti profond de celui dont le travail est mis en question.
De ce conflit nait un sentiment d’impuissance face à la réconciliation de jugements opposés, essentiellement parce qu’à aucun moment la diversité des attentes et des exigences n’a été mise en débat, ramenée de l’implicite vers l’explicite, donnant une chance à la recherche de compromis vers d’un consensus autour de ce que serait un travail bien fait acceptable pour tous.
C’est de cette impuissance que se nourrit, par une incompréhension non résolue, la frustration, la résignation ou le renoncement, pouvant conduire jusqu’à la violence contre le travail et contre soi.
Trouver le terrain d’entente d’un travail satisfaisant, pour chacun et pour tous
Faut-il voir comme un mal moderne du travail, cette impression diffuse de ne plus avoir les moyens de bien travailler ?
L’esclave-bâtisseur des pyramides se disait-il déjà cela ? Et le canut sur son métier à tisser, le manœuvre du bâtiment, l’artisan boulanger, l’ouvrier en abattoir, le chargé de relation clientèle, le comptable, l’agent d’entretien, et pourquoi pas le recruteur, le consultant l’ingénieur ? Depuis quand exactement date cette prise de conscience, cette insatisfaction explicite de devoir renoncer à faire son travail comme il faudrait, à exercer son métier selon les règles de l’art ?
Peu importe la datation puisqu’elle est impossible. La question n’est pas là, mais plutôt de comprendre d’où vient ce glissement progressif vers l’incompréhension désormais renouvelée entre celui qui prescrit le travail et celui qui l’opère.
Considérons donc d’une part la dématérialisation du travail portée par la tertiarisation grandissante de l’économie, couplée à la transposition des approches tayloristes, toyotistes et de Lean management à la production immatérielle, le tout orchestré par un management par objectifs, qui quelques fois transforme l’obligation de moyens en obligation de résultats. D’autre part, les pressions normatives et les injonctions marketing du travail tel qu’il devrait être fait, dans une approche hors sol des réalités économiques.
Ce tiraillement pèse avant tout sur celui qui travaille. Parce que le poids de l’identité professionnelle dans la reconnaissance sociale l’entraîne à revendiquer de bien faire son métier, d’en être l’intrapreneur responsable et engagé, s’il le faut en surinvestissant le travail, alors qu’il n’a souvent pas de levier sur les moyens théoriquement nécessaires à son accomplissement parfait.
Autant d’éléments qui conduisent à une dégradation ressentie des conditions de travail. Charge mentale, risques psychosociaux, syndrome d’épuisement professionnel, absentéisme, désengagement ou simple insatisfaction permanente, multiplication des projets personnels portés par la providence de la rupture conventionnelle, les maux modernes du travail semblent s’inscrire dans l’irrésolution de sa juste exécution.
Le choix cornélien entre se résigner à faire un travail de mauvaise qualité, prendre le temps nécessaire et ne pas répondre aux attentes exprimées ou mobiliser une énergie disproportionnée pour tenter de ménager chèvre et choux, contraint l’individu, dans l’intimité de son propre rapport au travail, à naviguer entre soumission, fatalisme, résistance passive et culpabilité.
A ne pas (ré)investir la discussion sur le travail, l’entreprise, le management et le salarié voient inévitablement se creuser le fossé de l’incompréhension, des reproches et de l’acrimonie. Car la responsabilité est bien partagée. Non seulement celle de dire ce qui est un travail bien fait, selon quels critères et pour quelle finalité, mais surtout ce que cela implique de concessions, pour ne pas dire de renoncement, aux représentations de chacun.
Il s’agit donc de procéder à un changement nécessaire de paradigme du travail vécu.
Tout retour en arrière, si tant est que cette époque ait existé, est impossible. Le travail bien fait tel qu’il est enseigné, pensé, marketé, est une chimère à laquelle ne peuvent prétendre que les rentiers, les idéalistes, les poètes et les fous. Si l’on suit le principe de Parkinson (Cyril Northcote Parkinson, 1955) qui veut que « le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement », on peut même considérer que l’exigence de moyens supplémentaires à la réalisation pure et parfaite du travail est infinie, au-delà de toute rationalité économique.
C’est donc un autre champ qu’il faut investir pour faire se rejoindre les exigences de productivité et d’accomplissement dans le travail. Celui de la discussion, de la confrontation et de la conciliation des attentes et des exigences, dans une recherche du point de compromis acceptable et durable.
Cette approche peut notamment se faire en mobilisant les souvenirs d’impasses aux révisions du bac, l’’exposition au risque dans l’appréciation de la probabilité de sa survenance, la prise de décision en situation de déficit d’information, la confiance en l’autre et le lâcher prise, l’explicitation du geste professionnel qui, quand il est maîtrisé, permet de prendre des raccourcis dans l’exécution des tâches et tendre vers une épure dans la consommation de moyens.
Pour reprendre Leibniz, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles », et ce « possibles » change tout, parce qu’il appelle à la résilience plutôt qu’au renoncement. Quant au « meilleur des mondes », il appartient à Huxley, et clairement celui-là n’a rien d’idéal.
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