Comment articuler Expérience et Expertise

Expérience et expertise, bien que les deux faces d’une même pièce, ne se construisent pas de la même façon. Et pourtant s’enchevêtrent et se répondent.

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Comment articuler Expérience et Expertise

Ça n’a rien à voir, et pourtant si !

L’expérience et l’expertise, deux concepts souvent confondus, jouent des rôles essentiels dans la maîtrise professionnelle. Bien que reliées, elles se développent différemment et répondent à des logiques distinctes : l’expérience résulte de la pratique continue et permet une adaptation efficace, tandis que l’expertise repose sur une connaissance approfondie et spécialisée. Dans le monde du travail complexe aborder cette dualité est important pour mieux cerner et valoriser les compétences.

On pourrait croire que l’expérience précède toujours l’expertise, mais cette relation est plus complexe. En toute logique, on deviendrait expert à force d’expérience, rarement l’inverse. D’ailleurs, ce serait quoi le pendant d’expert pour l’expérience ? Expérimenté ? Qui est instruit par l’expérience. Démonstration donc que l’expérience ne se nourrirait que de la pratique et de sa répétition. Et si l’on reprend le fil, cela veut-il dire que l’expertise, qui se nourrirait de l’expérience, se nourrirait donc, par un coup de billard à deux bandes, elle aussi, de la répétition de la pratique ?

Si l’expérience se forge par des pratiques répétées et l’exposition à des situations de travail similaires, favorisant adaptabilité et réactivité, en revanche, l’expertise peut s’acquérir sans cette accumulation, comme chez les experts théoriciens (ex : résistance des matériaux, régénération de la biodiversité, tests psychométriques, …) dont la connaissance approfondie compense parfois le manque de pratique.

Caractéristiques de l’expérience :

  • reproduction un nombre significatif de fois des mêmes gestes professionnels
  • dans des situations de travail ou des contextes globalement similaires
  • suivant des procédés ou méthodes déterminés
  • jusqu’à une certaine forme d’automatisation ou de dextérité
  • au point de pouvoir mobiliser certaines aptitudes d’adaptabilité ou de transposition à un autre contexte aux caractéristiques proches
  • mais sans pour autant pouvoir se revendiquer détenteur d’une expertise dans ce même domaine.

Caractéristiques de l’expertise :

  • peut se revendiquer dans un domaine sans avoir nécessairement pratiqué son exécution opérationnelle dans la durée
  • s’acquiert en grande partie par des connaissances académiques et théoriques
  • ou par un travail approfondi de conceptualisation et de modélisation
  • confronté à l’état de l’art
  • ou en tests psychométriques, qui n’ont pour autant jamais pratiqué en tant que tel la résultante opérationnelle de leur expertise.

Dissocier expérience et expertise en insistant sur les spécificités de leurs construction et de leurs représentations est un élément clef d’un certain nombre de politiques et de processus RH : recrutement, organisation du travail, gestion des compétences, rémunération, gestion de carrière, formation.

Être ou avoir : entre référentiel et dynamique

Avoir de l’expérience, avoir une/des expertise(s), être expérimenté, être un expert, … la juxtaposition des deux auxiliaires a le mérite de mettre en évidence la simultanéité d’une possession et d’un état. Entre statique et dynamique, l’expérience et l’expertise en commun de s’acquérir pour devenir propriété et de venir caractériser dans leur identité ceux qui les revendiquent.

Il y a donc à la fois une question de référentiel et une question de relativité.

A partir de combien de temps peut-on considérer avoir de l’expérience ? Cela se compte-t-il en années ou en nombre de répétitions de la même tâche, de la même activité ? Avoir cinq ans d’expérience ou avoir vingt d’expérience, c’est toujours avoir de l’expérience, ce n’est simplement pas la même. C’est toujours avoir plus d’expérience que celui qui en a moins. A ceci près que l’allongement dans le temps d’une même pratique, qui donc fait expérience, nourrit celle-ci de sa confrontation à l’évolution de son contexte d’exercice : technologique, méthodologique, organisationnelle, économique, socioculturelle, … autant de transformations lentes qui mettent à l’épreuve la répétition du savoir-faire nécessitant des ajustements plus ou moins grands. Le fruit de l’expérience est bien le développement de compétences dites « soft », pas toujours matérialisées d’ailleurs, d’adaptabilité, de transposition, d’analogie, de recyclage, de curation. Autant de compétences que l’on peut également qualifier de transverses, transposables ou transférables, et qui constituent le cœur du maintien et du développement de l’employabilité. Comme si la seule expérience portait en elle une forme d’expertise propre.

Mais quand on parle d’expertise, on entend généralement autre chose. D’abord parce que l’expertise s’inscrit quasi exclusivement dans le champ des compétences hard, par analogie à peine déguisée aux sciences dures. Il y a dans l’expertise, une dimension de technicité pure et de mobilisation de savoirs académiques qui n’est que dans un second temps valorisée par l’accumulation de la pratique ; une sorte de mise à l’épreuve du feu qui permettrait de pouvoir démontrer, par l’expérience donc, que l’on sait de quoi on parle, que sa connaissance s’est confrontée au réel et qu’elle y a résisté. Ensuite parce que l’expertise est souvent opposée à la polyvalence. Qui trop embrasse, mal étreint, développer une expertise passe nécessairement par un choix et un renoncement, par la focalisation sur un sujet particulier. L’expertise des fibres végétales n’est pas l’expertise du caoutchouc, l’expertise de l’appertisation n’est pas l’expertise de la surgélation, l’expertise du droit commercial n’est pas l’expertise du droit du travail, …

Expertise rime donc principalement avec spécialisation, mais ça ne suffit pas. Entre, profondeur, technicité, complexité, conceptualisation, modélisation, ou encore innovation, derrière la notion d’expertise se trouvent de multiples dimensions et de multiples compétences.

Quoiqu’il en soit, avoir n’est pas être. Or c’est bien d’être qu’il s’agit quand il est question de valoriser aussi bien l’expérience que l’expertise.

Valoriser quoi et pour quoi

Vu du marché du travail, l’expérience est un atout incontournable pour tout candidat au recrutement. Et vu du recruteur, essentiellement sur deux dimensions : justifier de l’expérience d’avoir déjà fait la même chose que ce qui est attendu du poste ; justifier de la connaissance du secteur d’activité comme expérience de ses spécificités. L’expérience joue dans ce cadre un rôle de réassurance, celle d’une prédictibilité de maîtrise des gestes professionnels, d’un quasi non-investissement à la montée en compétences, d’une opérationnalité immédiate correspondant au standard de productivité attendu. Une vision donc plutôt statique, répondant à une exigence économique d’optimisation des coûts de main d’œuvre.

Jusqu’à un certain point, le point … Senior ! où quand la courbe d’accumulation d’expérience atteint son apogée et se heurte à la redescente d’une courbe gaussienne de sa valeur marché. L’accumulation d’expérience n’est alors plus suffisante pour justifier son enchérissement continu pour effectuer les mêmes tâches et les mêmes activités. Pour les profils seniors, seule l’expertise valorise durablement la candidature, car elle témoigne de compétences avancées et spécialisées, répondant à des besoins complexes.

Pour les candidats comme pour les employeurs, si l’expérience assure une opérationnalité, l’expertise permet des niveaux de rémunération plus élevés et renforce l’attractivité de la marque employeur et la compétitivité des entreprises par l’innovation.

L’alternative à cette fatalité se trouverait donc dans la transformation de l’expérience en expertise. Car à l’inverse, la valeur marché de l’expertise n’a à peu près pas de limites autres que celles du rétrécissement de la demande. Limite généralement compensée par l’augmentation de sa valeur du fait de sa rareté.

Mais comment transforme-t-on l’expérience en expertise ? Évoluer d’une expérience solide vers une expertise est une démarche qui requiert une spécialisation et une analyse critique continue. Elle suppose de recentrer ses pratiques, souvent dans son champ d’expérience, et de cultiver des compétences réflexives, comme l’analyse et la modélisation. Un expert accompli sait par ailleurs intégrer des connaissances de manière éclairante et les rendre accessibles à ceux qui en ont besoin, notamment en matière de prise de décision ; tout en contribuant à l’avancée de son domaine, faisant valoir un point de vue, l’ouverture de nouvelles voies de questionnement ou d’expérimentation.

Autant de dimensions qui, pour le moment encore, laisseront ouvert le débat d’efficience entre humain et intelligence artificielle.

Vous voulez structurer votre démarche de capitalisation d’expériences et d’expertises ? Empitos RH vous accompagne :

Expérience et expertise, bien que les deux faces d’une même pièce, ne se construisent pas de la même façon. Et pourtant s’enchevêtrent et se répondent.