Qu’elle soit surprise ou attendue, une démission est généralement source de déstabilisation, plus ou moins significative, plus ou moins temporaire, de l’organisation. Subir est une chose, piloter en est un autre, explication en deux temps.
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1/ Traiter chaque démission par une approche systémique
Quand une démission survient, il est indispensable d’en faire une analyse des causes. La pratique la plus répandue consiste à mener un entretien de départ avec le collaborateur qui démissionne pour identifier autant que possibles les raisons qui l’ont conduit à ce choix. Deux approches possibles : à chaud, dans les jours qui suivent la démission ; ou à froid, dans les derniers jours de sa présence dans l’entreprise. S’il est difficile d’apprécier laquelle garantira le maximum d’authenticité et de transparence sur les motivations du départ, trois constantes s’imposent :
- avoir la même approche de temporalité pour toutes les démissions,
- mener des entretiens structurés pour mettre en place et analyser des indicateurs et leurs évolutions,
- faire conduire l’entretien par un interlocuteur neutre (c’est-à-dire pas le manager direct), idéalement un acteur RH.
Dans tous les cas, une démission reste avant tout une bonne nouvelle pour celui qui démissionne. Parce que c’est généralement une étape dans l’élaboration d’un nouveau projet, dans lequel il se construit et se projette. Rien que pour ça, le premier acte managérial face à une démission doit être de féliciter son collaborateur, réel acte d’empathie, sincère et désintéressé.
La question de l’opportunité de retenir le démissionnaire peut toutefois se poser. Si certaines causes de départ sont évidemment irrattrapables, généralement quand la démission intervient c’est qu’un nouveau projet concret a émergé, dans lequel le collaborateur s’est projeté, a commencé à construire un désir professionnel, tout en engageant un processus de deuil vis-à-vis de sa situation actuelle. Retenir un partant dans ces conditions est un choix à court terme, qui ne fait que repousser l’échéance et entretenir une relation sur une défiance latente.
Reste qu’une démission peut aussi être considérée comme une bonne nouvelle au vu de l’opportunité qu’elle présente : comprendre pourquoi on n’a pas su entretenir le cadre motivationnel à poursuivre la relation de travail, questionner la pertinence du maintien de l’organisation en l’état avec la vacance du poste, identifier les pertes de compétences et d’expertise, pour pouvoir définir un plan de prévention pour les prochains.
Dernier élément à prendre en compte dans le traitement d’une démission : le remplacement. La tentation de lancer immédiatement un recrutement externe poste à poste est grande, il faut résister ! C’est en fait la solution de dernier recours, quand toutes les autres n’ont pas abouti. Car faut-il remplacer ? Quelles étaient les missions et activités du titulaire ? Doivent-elles être maintenues en l’état ou la façon dont elles étaient exercées était-elle propre au partant ? Peuvent-elles être redistribuées pour enrichir les postes d’autres collaborateurs, ce qui pourrait contribuer à leur employabilité voire les fidéliser davantage pour peu qu’ils y trouvent un intérêt. Bref, le remplacement n’est pas automatique.
L’exercice a évidemment ses limites. Il se peut qu’in fine il reste, soit directement issu du poste vacant soit par vases communicants des autres postes impactés par la redistribution des activités, une charge de travail incompressible. Mais le poste à pourvoir est alors tout à fait autre et s’ouvre sur des candidatures qui n’auraient pu accéder au poste initial. On peut même imaginer qu’en déportant le contenu du poste sur une recomposition d’activités plus élémentaires, par l’enrichissement des autres postes, l’exercice de recrutement n’en sera que facilité, puisque moins exposé à des exigences d’expertise ou d’expérience.
Nous voilà donc au terme de l’exercice de traitement d’une démission. Il est donc temps de l’inscrire dans un dispositif plus global et systématique de management des départs.
2/ Aborder la démission comme un risque organisationnel
On peut distinguer 4 risques ou temporalités des démissions, chacune renvoyant à une typologie de défaillance du système de management des ressources humaines :
Chacune de ces défaillances renvoie à une analyse des processus associés afin d’en identifier les points de fragilité, les adaptations possibles ou les éventuels points de contrôle à mettre en place.
On pourra également coupler cette première approche avec une identification et une hiérarchisation des facteurs de risques, c’est-à-dire des principales motivations à démissionner. Par exemple :
- Une opportunité dans une autre entreprise avec évolution salariale significative
- Un décalage entre promesse employeur et réalité vécue du poste (mission, sens, conditions de travail, …)
- Des conditions de travail insatisfaisantes (environnement, intensité, charge, horaires, …)
- Un style ou une culture managérial trop éloigné des attentes
- des perspectives d’évolution trop limités (responsabilité, mission, rémunération)
- Un projet professionnel incompatible avec la poursuite de la relation : reconversion, création d’entreprise, mobilité géographique, …
- Un épuisement de la relation professionnelle, plus ou moins accéléré par la qualité du management, pouvant aller jusqu’aux situations de conflit ouvert
Une typologie des motivations qui pourra par ailleurs servir à structurer les entretiens de départ dans un objectif d’homogénéité d’analyse des motivations.
Toutes ces motivations constituent des facteurs de risques, identifiables, dont il faut mesurer la probabilité de survenance. Il est possible dans ce cadre de décliner pour chaque typologie de motivation les causes racines en recherchant les leviers de prévention. On en reviendra bien souvent à parler de qualité du management, d’empowerment, d’employabilité, d’évolution professionnelle, de politique de rémunération ou de conditions de travail.
Un travail régulier d’évaluation de ces risques peut être fait avec les managers pour chacun de leurs collaborateurs, par exemple dans le cadre de people review, en s’appuyant notamment sur l’entretien professionnel, si tant est qu’il soit mené correctement et dans un climat de confiance suffisant pour libérer la parole.
Fort heureusement, malgré tous ces efforts de maîtrise des risques, les démissions arriveront, comme autant de respirations offertes à l’organisation. Reste donc le dernier volet du système de management des départs, l’anticipation des réponses à apporter, en partant du principe de survenance de la démission pour définir a priori le champ des possibles. Encore une fois, en passant en revue pour chaque poste les solutions envisageables, on obtiendra une cartographie d’actions, permettant d’aborder tout nouveau départ avec sérénité plutôt que dans l’urgence. Gouverner c’est prévoir, paraît-il.